La vengeance du roi Mohamed VI sur Khalid Gueddar

Le caricaturiste marocain inculpé pour dessiner un cousin du roi dénonce l’involution de la liberté d’expression
« Nous Vivons avec des lois du moyen âge », affirme Guedar 
BEATRIZ MESA, CASABLANCA
C’était son baptême de feu dans le journal. Si la caricature passait sans que la main réelle ne se lève, le caricaturiste marocain Khalid Guedar, de 34 ans, commencerait le printemps satirique dans le quotidien Akhbar Al Yaoum. S’il provoquait la colère du palais, les crayons pour la liberté d’expression entreraient à nouveau à contrecœur dans son tiroir. La deuxième hypothèse s’est produite et une condamnation possible pend sur lui.
« Mon rêve, mon grand rêve, est de dessiner le roi Mohamed VI », a dit Khalid quelques heures avant de traverser les portes du tribunal de première instance à Casablanca. Dans la dernière année il a pu dessiner seulement la silhouette complètement noire du monarque du Maroc. La piste unique qui permet d’entendre que le retraité est le roi, et non quelqu’un d’autre, est le bonnet marocain (tarbouch) et les deux ailes de l’ange qui symbolise la sacralisation du royaume alaouite. 
Les branches de l’étoile 
Mais Khalid est un homme libre, très libre, et il a osé avec une caricature du prince Moulay Ismaíl, cousin du monarque, en couleur. C’était la première fois qu’on représentait un membre de la famille royale dans la presse marocaine depuis que les autorités ont arrêté les machines à écrire de son journal Demain, en 2003. Le dessin a été une commande du directeur d’Akhbar Al Yaoum pour accompagner un spécial sur la noce du prince, qui a apousé une allemande convertie à l’islam. 
« Une caricature aimable », on lui a demandé. Et en un clin d’œil, il a dessiné Moulay Ismaíl assis sur un trône traditionnel de noce, avec un bras fugitif et en souriant, et au fond un drapeau marocain avec l’étoile semi-occulte. La polémique a éclaté dans les couloirs de l’Intérieur, où on a interprété que la caricature parlait de l’étoile de David, le symbole juif – de six branches, alors que le marocain est de cinq-, et au salut nazi. « Il n’y a aucun signe antisémite et le geste nazi ne peut pas se faire assis », se défend le caricaturiste. Les autorités ont couru chercher l’artillerie lourde et ont accusé Guedar et son directeur de « outrage au drapeau », ils ont saisi le journal, lui ont placé le bâillon et ont mis un cadenas sur le local, en laissant dans la rue presque une centaine de personnes. 
« On ne voit rien dans le dessin, mais l’État veut régler des comptes avec moi à cause de mes dessins dans le journal français où j’ai travaillé », assure Khalid avec beaucoup de sérénité. Il y a quelques années, presque une décennie, une corde pareille lui a serré le cou. À la suite de ses illustrations dans le journal censuré Demain – qu’il avait créé avec le journaliste Alí Lmrabet-, où les pages ne s’en tenaient ni aux restrictions ni aux autocensures, il a été poursuivi et menacé. « Ils m’ont expulsé, j’ai dû aller en France », déclare-t-il. 
Après cinq ans de travaille dans le quotidien satirique Backchich, il a décidé de défier le régime alaouite en revenant à son pays il y a moins d’un an, malgré que les blessures n’étaient pas encore guéries, et de reprendre la satire artistique, arrachée à la presse marocaine après la disparition de Demain. Il est revenu chez Akhbar Al Yaoum pour manger le monde, mais il a fini attrapé de nouveau par la machine de censure de l’État.
La valeur d’une image 
« Au Maroc, prévalait encore, la fatwa [un édit religieux] du roi Hassan II qui disait qu’il ne tolérerait pas ce type de presse. Ils savent qu’un dessin fait plus mal qu’un texte », il explique avec indignation dans les yeux, mais non par les peines qu’il affronte (une prison et une amende qui peut faire environ 255.000 euros, comme l’a exigé le prince même) mais par l’involution qui subit la liberté d’expression au Maroc. « Nous vivons dans un régime archaïque, avec des lois du moyen âge et dans un pays bananier », ajoute-t-il sans mesurer ses mots. Son comportement montre la vocation pour le journalisme libre. 
« Je crois en ce que je fais, en la liberté d’expression », déclare-t-il pour démontrer qu’il supporterait stoïquement une peine de prison (entre trois et cinq mois). On le voit animé par le soutien des collectifs, des médias et, surtout, par le dossier de Backchich. Son directeur, français, l’accompagne ces jours-ci au Maroc dans l’attente du jugement – ajourné jusqu’à lundi prochain – où la justice lui apprendra pour l’énième fois quelles sont les règles du jeu. 
Sa dernière caricature montre une femme qui représente la presse sur le point d’être pendue par une corde en forme d’étoile de cinq branches et avec le prince prêt à donner l’ordre d’exécution. Aucun journal indépendant ne l’a publiée. 

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