Dans le théâtre Mohammed V à Rabat, le 6 septembre 2009, les photos qui ornent les murs de la grande salle dexposition tentent de retracer un demi-siècle dexistence dune famille politique, celle de lUnion nationale des forces populaires (UNFP), puis, à partir de janvier 1975, celle de lUnion socialiste des forces populaires (USFP). Cinquante ans donc dune lutte éprouvante pour le pouvoir et dun bras de fer avec la monarchie alaouite qui ont conduit, en mars1998, à la participation au premier gouvernement dit dalternance dirigé par Abderrahmane Youssoufi. Depuis, cette formation subit une hémorragie électorale qui la place dans une logique de dégringolade permanente.
Marketing politique
Il faut dire que ce cinquantième anniversaire de la naissance de lUNFP se présente, pour les cadors de lUSFP, comme une opération de marketing politique. Mais pour dautres, il pourrait être loccasion dévaluer lactualité du «parti de la rose» à travers une lecture dynamique de son histoire politique. De la première scission en 1959, menée par Mehdi Ben Barka contre lIstiqlal, à celle de Mohammed Sassi en mars 2001, dans le tumulte du VIè congrès, en passant par le départ dAbderrahmane Benamer en 1983, lhistoire de lUNFP et de lUSFP est, aussi, une histoire de ruptures et déchecs, parfois mortels. Après cinquante ans, nest-il pas utile, aujourdhui, de se poser les questions suivantes : que reste-t-il de lidéologie et des programmes élaborés par les fondateurs de lUNFP (Mehdi Ben Barka, Abdellah Ibrahim et Abderrahim Bouabid) ? Comment lUSFP a-t-elle évolué ? A-t-elle su sadapter à lévolution dun contexte international marqué par la prééminence du libéralisme politique, qui suppose des mutations importantes au niveau du rôle de lEtat ?
Janvier 1975. Une scission au sein de lUNFP est conduite par la section dite de Rabat, composée essentiellement dAbderrahim Bouabid, Mohammed Elyazghi et Omar Bendjelloun. LUSFP était ainsi née& Pour expliquer le bien-fondé de cette scission, «la clarification de la ligne idéologique» du parti est présentée comme un argument central. En dautres termes, il fallait désormais opter pour la «voie démocratique » au lieu de «loption révolutionnaire». «Ce motif était ambigu et peu convaincant puisque lUNFP nétait pas dans une logique blanquiste. Elle avait participé aux élections de 1963 et pratiqué une opposition démocratique, aux côtés de lIstiqlal», précise Abdellatif Housni, ancien militant de lUNFP.
A son tour, lUSFP pratique une opposition parlementaire active à travers laquelle tous ses projets de société sétaient peu à peu cristallisés : un socialisme où lEtat joue un rôle important, des institutions pourvues dune légitimité populaire et démocratique, une presse libre, le tout dans le cadre dune monarchie constitutionnelle et démocratique. LUSFP gagne alors en popularité, et en consolidant son assise électorale, elle sérige en force politique capable de mener un bras de fer contre Hassan II. A partir de 1993, lintégration dune nouvelle élite politique dans les structures de lExécutif se fait sentir inexorablement. Un système où la moindre alternance nexiste pas ne peut guère durer& Hassan II en était conscient. Après léchec de la première tentative dalternance avec Mhamed Boucetta -alors SG de lIstiqlal-, le roi se tourne vers son vieux rival : lUSFP. Un marchandage périlleux commence entre le roi défunt et Abderrahmane Youssoufi. Il portait sur les réformes constitutionnelles. De part et dautre, des concessions sont demandées, et en 1996, la Constitution est encore une fois révisée. Mais les changements ne concernent pas le pouvoir royal, dont la prééminence reste intacte. LUSFP participe finalement, en mars 1998, à un gouvernement dit dalternance, hétéroclite.
Mais dix ans plus tard, le parti qui a été fondé par Abderrahim Bouabid vit une crise identitaire et électorale profonde. Lidéal dun Etat régulateur et impartial, agissant à travers des structures de régulation crédibles, na pas été atteint. Celles-ci sont aujourdhui dominées par des «potes» du roi, portant atteinte au fonctionnement régulier des rapports financiers. Lexemple de la CDG (Caisse de dépôt et de gestion) est, à cet égard, très significatif. Fondé en 1959 par Abderrahim Bouabid, alors ministre de lEconomie, cet établissement public avait pour objectif la conservation et la gestion de lépargne par lEtat. Aujourdhui, la CDG sest transformée en une structure dirigée par Anas Alami, un proche de Mounir Majidi, secrétaire particulier du roi. LUSFP, elle, se contente dun rôle de figurant&
Cinquante ans après la naissance de lUNFP, nombre dobservateurs et de militants de lUSFP sinterrogent sur les choix qui ont été faits, notamment par Youssoufi, à la fin des années 1990. Et cest la déception qui lemporte sur le& marketing politique.
«A u terme du processus électoral (&) j’ai décidé de me retirer de l’action politique et, par là même, de démissionner de l’Union nationale des forces populaires.» C’est par cette expression lapidaire que l’ancien Premier secrétaire de l’USFP Abderrahmane Youssoufi, annonce, en décembre 2003, son retrait d’une famille politique qu’il a servie depuis sa plus tendre enfance. Il est l’artisan du gouvernement dit d’alternance, avec Hassan II qui l’a fait jurer sur le coran, fidélité au trône. Mais Youssoufi est également l’homme de la déception, celui qui n’a pas su profiter d’une opportunité historique pour revendiquer des réformes constitutionnelles permettant aux institutions de jouer un rôle plus important que celui de la figuration qu’elle joue aujourd’hui.
Il est aussi l’homme des interdictions de journaux, en décembre 2001 et enfin, celui qui n’a pas su empêcher la dégringolade électorae de son parti. Sa présence, le 6 septembre 2009, à l’exposition des photos-souvenirs de l’UNFP au théâtre Mohammed V en a pourtant ému plus d’un… Abdallah Ibrahim, linsoumis
Né à Marrakech en 1918, Abdallah Ibrahim est lun des signataires du Manifeste de lIndépendance en 1944. A partir de février 1958, il est président du Conseil de gouvernement, jusquen mai 1960. Avec Mehdi Ben Barka, il fonde, en 1959, lUnion nationale des forces populaires (UNFP). Ses rapports avec le roi Hassan II étaient difficiles. Dun côté, Ibrahim na jamais pardonné au prince Moulay Hassan de lavoir évincé du conseil de gouvernement, en 1960, alors quil avait entamé, avec Abderrahim Bouabid, tout un projet de modernisation des structures industrielles du royaume. De lautre, Hassan II na jamais accepté larrogance dIbrahim, son attachement aux principes révolutionnaires et sa rigidité idéologique, contrairement à un Bouabid par exemple. Ibrahim suscitait également la méfiance de la France, qui lui préférait le prince Moulay Hassan et ses officiers coloniaux& Abderrahim Bouabid, zones dombre dun homme dEtat
Il est lartisan de la scission de 1975, qui a morcelé la famille ittihadie et créé lactuelle USFP. Charismatique, fin politique et personnage dhistoire, Abderrahim Bouabid était très apprécié, voire admiré par Hassan II, avec lequel il na jamais gouverné. Tous ceux qui connaissaient le défunt roi assurent que celui-ci aurait aimé «travailler avec lui». Né à Salé en 1922, il est lun des plus jeunes signataires du manifeste de lIndépendance. Grâce à sa formation et sa subtilité politique, Bouabid joue un rôle de premier plan dans les négociations qui mèneront à «lindépendance dans linterdépendance» du Maroc, en 1956. Il est larchitecte de loption participative de lUSFP, à travers des processus électoraux cependant limités. Mais jusquà sa mort en 1992, il a pu préserver une USFP forte, populaire et électoralement crédible. Nombre dhistoriens et de politologues le décrivent aujourdhui comme un véritable homme dEtat, en dépit des zones dombre qui ont émaillé son rôle dans le coup dEtat de 1972.
Le Journal Hebdo
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